Arts Antiques Auctions, Jo Rome, 1998

Jo Rome, Morceaux de temps suspendus, AAA n° 297, décembre 1998

Chaque œuvre se reconnaît par la personnalité profonde de l’artiste. Attaché à sa terre comme aux siens, Jo Rome est un peintre philosophe d’une réelle et profonde humilité qui ne cesse depuis des années de rapporter au monde l’interrogation qui lui distille la vie. Il nous propose …à la galerie Liehrmann de Liège quelques tranches de vie.

Peintre mais aussi dessinateur et sculpteur, il compte parmi les plus dignes représentants de l’art actuel. Alliant ainsi des harmonies novatrices et insolites, il n’hésite pas de bouleverser l’ordre naturel lorsque la recomposition s’impose. Voici bien un art qui, refusant les redites fastidieuses, se ressource dans l’inattendu et c’est là tout son charme.

Dans ses dernières compositions, rendues en de larges aplats de tonalités volontiers tendres, il s’inscrit hardiment dans un ligne picturale contemporaine.

Sa poésie et son univers poétique se manifestent aisément, empruntant fréquemment les détours de l’audace et surtout ceux de sa sobriété. Sans se soucier de détail, fortement influencé par les acquis de sa formation de peintre, il n’a cessé de se tailler un style ample et souple, alternant judicieusement les visions de l’enfance et d’une jeunesse trop vite perdue.

Avec les œuvres de 1998, nous entrons ici dans une peinture ou l’opposition entre la tradition et la modernité est exploitée ; le geste domine dans des compositions fougueuses. Une légère coloration vient parfois s’immiscer dans cette œuvre presque muette. La matière est aussi une composition importante. Contrastés ses toiles dialogues avec l’abstraction et la couleur, la matière et le geste.

C’est en fait une peinture tournée vers l’intérieur que nous propose Jo Rome. L’artiste observe inlassablement son passé, ses photos de famille. De multiples petits croquis sont pris sur le vif. Réunions de famille, sorties d’écoles, intérieurs d’épicerie. De retour à son atelier, il assemble ces miettes de passé et les retravaille, les recompose.

Les personnages qu’on y croise se penchent sur un vide intérieur d’où du sens peut surgir. Ils ne réconfortent pas ni n’apaisent. Mis en position d’éveil, comme ils sont eux-mêmes dans l’inquisition de leurs regards effacés, nous sommes entraînés vers leur monde parce qu’ils nous écartent des sentiers battus de la cécité commune et nous rendent à notre tour créateurs. Rares sont les œuvres aujourd’hui qui portent à pareille extrémité.

Dans l’antre de son atelier de Horion-Hozémont, il façonne des tableaux qu’il est bon de contempler en s’en donnant le temps. Voilà un homme qui nous invite à la découverte d’un monde inconnu mais peut-être jadis rencontré. Ces instantanés sont des morceaux de temps suspendus. Des bribes de souvenirs d’où se dégagent une profonde densité et une sensation d’infini. Cet espace même paraît matériel, insondable et habité dans un rapport de complicité avec l’artiste.

L’être qui s’y trouve est parfois spectateur ou acteur, il n’est pas hors du monde, il peut même paraître proche.

Pour le moment, il nous est étranger. Une distance s’impose, un espace poétique est offert, le silence règne. C’est la couleur qui parle. Une couleur dont il célèbre avec délicatesse lumineuse des moments d’abandon pudique dont il ne force jamais la sensualité. Artiste d’une grande mesure, d’un métier bien équilibré, il n’hésite pas à voir grand et évite tout excès.

L’observateur attentif de son œuvre découvre un artiste qui transforme la vie réelle en un théâtre de rencontres. Il ne décrit pas, il ne rend pas, il ne peint pas la vie mais il célèbre l’intrusion du passé dans le présent.

Evoquer ses débuts artistiques, c’est aussi illustrer la prime jeunesse. Jo Rome a trouvé le subtil moyen pour qu’expression et technique picturale se complètent sans se contrer et créent un style authentique, reconnaissable. A partir d’un fond impulsif ; il crée, couche sur couche, une perspective de formes et d’ambiance, réalisant ainsi des images qui en elles la force des événements. Curieusement, les visiteurs étrangers vis-à-vis de l’art actuel ne resteront pas insensibles à l’expérience et à la maîtrise que reflètent les peintures de cet artiste. Ils y trouveront une liberté spirituelle infinie, une ouverture au rêve remplie d’émotion et de vision dans laquelle il est bon se laisser engloutir.

L.R.

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